Sur la prairie des Filtres, au Festival Rio Loco de Toulouse, Marlon Silva aka DJ Marfox s’apprêtait, une fois encore, à livrer un de ses sets épileptiques semés d’une pléïade de sons éclectiques (percussions, flûtes, bruitages de jeux vidéos, synthés tout droit tirés d’un film d’horreur, kalimbas, voix de contrebande bidouillées puis retrafiquées) et d’empreints à tous les genres urbains qui s’épanouissent en Afrique lusophone, dont il tire ses origines. Depuis plus de dix ans, lui et ses camarades du collectif et label Príncipe font dans l’import-export : ils épongent les rythmes et tendances afro, les réinventent dans l’esprit débrouille du ghetto, et les propulsent sur les scènes du monde entier. Lui et ses copains Nigga Fox et Narciso seront en concert le 14 avril au Festival Banlieues Bleues.
Ton son, et celui de tes camarades de Principe, vous l’appelez « batida » : qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Batida, ç’est le battement, comme le battement du cœur. On a besoin d’un cœur pour vivre, et moi j’ai besoin de la batida pour vivre. C’est ma définition : ton cœur doit être sur la bonne fréquence, et ni trop lent, ni trop speed : la batida c’est pareil.
Comment Marlon Silva est devenu Marfox?
Mes parents viennent de São Tomé-et-Príncipe, mais mon frère et moi, nous sommes nés au Portugal. Ma connexion au monde des chanteurs, des musiciens, vient de mon père. Tu sais, les artistes d’Afrique lusophone étaient nombreux à venir enregistrer leur vinyles ou leurs cassettes à Lisbonne, dans de bons studios. Le problème, c’est qu’ils n’avaient pas de réseau pour les vendre à leur communauté vivant en Europe. Mon père s’occupait de ça : il achetait tout leur stock, et le revendait, comme un distributeur. Donc mon premier contact avec l’univers de la musique c’étaient tous ces artistes qui passaient à la maison le voir : Africa Negra, Sangazuza, Camilo Dominguos… ils venaient chez nous et demandaient à mon père d’acheter leur production. Le plus souvent, ils restaient déjeuner ou dîner à la maison. J’écoutais leurs histoires, même si je ne parle pas bien le créole de São Tomé-et-Principe. Des fois, quand on recevait, je mettais de la musique. Les amis de mon père disaient : regarde ton fils, c’est un DJ. Ils blaguaient, mais me voilà maintenant DJ professionnel.
Ton nom Marfox, ça vient d’où ? et ceux de tes camarades du collectif Príncipe (Lycox, Lilocox, Nigga Fox…) ?
Je suis le premier Fox. En fait ça part d’un délire de gamin. Quand on était petit, on avait la console Nintendo 64, et moi j’avais gagné la mienne lors des compétitions de la fête de mon école. Avec la console, il n’y avait qu’un seul jeu : Starfox. Et c’est de là que mes copains m’ont appelé non plus Marlon, mais Marfox, et je l’ai gardé comme nom de DJ. Mes copains ont suivi. Maintenant, il y a des millions de Fox !
Tu confiais à PAM que c’était après avoir vu le pionnier DJ Nervoso sur scène que tu avais eu le déclic : tu es passé de DJ à producteur qui invente son propre son. Peux-tu nous parler des premières expériences qui ont suivi ?
Au début je jouais dans la communauté, car à Lisbonne il y a beaucoup d’immigrés qui viennent de São Tomé-et-Principe, du Cap-Vert, d’Angola, de Guinée Bissau… et puis en 2006, pour la rentrée scolaire, avec Nervoso et quatre autres copains, on a sorti la compilation DJs do Guetto. C’était une petite révolution. Parmi les titres que j’ai produit sur la compilation, il y avait « Funk em Kuduro », un titre à part, qui sonnait vraiment différemment. Et c’est lui je crois qui m’a ouvert les portes du monde.
Tu brasses kuduro, funana, tarraxinha, kizomba… tous ces genres servent de patrimoine commun et de ciment aux diasporas afro-lusophones ?
Je vis avec les diasporas, et je reçois des musiques de tous ces pays d’Afrique lusophone. J’en suis vraiment heureux, parce que ces musiques nous reconnectent à notre histoire africaine. Ma musique, et même celle de Principe, sont nées de ça : à la maison on écoutait certains sons, à l’école avec les copains d’autres sons. Donc on était comme au milieu d’un pont : sommes nous plus africains? ou plus européens ? Nervoso a créé un son qui pour moi était une vision: elle réunissait les musiques d’Afrique et d’Europe. C’est ça la batida.
Au fond, la batida incarne cet esprit des diasporas…
J’aime dire que c’est une musique de la Méditerranée, parce qu’elle est pile au milieu des deux continents. Ceux qui l’aiment en Afrique pensent que c’est leur musique, et pareil en Europe. Un vrai mélange.
Est-ce que l’électronique est devenue une langue commune qui a davantage ouvert les oreilles des jeunes Européens sur les musiques africaines ?
Oui, il y a d’abord les réseaux sociaux. Et puis la production, qui souvent est exclusivement électronique, ou presque. Les gens sont capables de comprendre toutes les musiques si on les met dans un contexte adapté. On en voit des exemples chez Príncipe comme chez Nyege Nyege : j’ai un son traditionnel, et maintenant je vais lui créer un contexte pour qu’il explose plus largement, et qu’il touche d’autres gens. Nous, chez Príncipe, on donne à ton cerveau ce supplément, et ton cerveau en redemande. Alors tu te mets à chercher. A partir de là, il devient facile d’aller plus loin, car en Afrique il est désormais simple de partager les musiques – via les plateformes, les réseaux etc.. l’internet a donné aux musiques et aux musiciens d’Afrique une bien plus grande exposition en Europe. Et je suis ravi qu’aujourd’hui bien des labels soient nés après avoir été inspirés par ce qu’on a fait.
Est-ce que tu crois que votre réussite a facilité une meilleure reconnaissance des Afro-descendants dans ton pays, le Portugal ?
Pour moi déjà, la musique a changé ma vie. J’étais un gars de la rue, et grâce à ma musique je suis connecté à des gens du monde entier. Pareil pour Lycox, Nigga fox… maintenant tu as plein d’artistes d’Afro-house qui jouent dans le monde entier. Qui aurait pu l’imaginer il y a encore dix ans ? Ça me rend vraiment heureux parce que des fois je vais jouer au Japon, ou en Australie, et je me rends compte que pour les gens là-bas je représente le Portugal. Ils me disent : je ne connais pas la musique portugaise, mais je connais Príncipe.
Príncipe @Banlieues Bleues, le 14 avril à la Flèche d’Or (Paris 20)